Karine Turbeaux, avocat associé
Délizia Bourgeois, avocat
Karine Turbeaux est avocat associé et Délizia Bourgeois avocat au sein du Cabinet Renaudier, qui est dédié
exclusivement au droit économique et qui est l’un des cabinets d’avocats français les plus actifs dans ses
principaux domaines d’activité – distribution, concurrence, concentrations – tant en conseil qu’en contentieux.
• L’Autorité de la concurrence doit se prononcer sur la limitation de l’objet social d’une société franchisée à
l’utilisation de l’enseigne de son franchiseur, assortie d’une minorité de blocage dudit franchiseur empêchant
toute modification de cet objet social.
• Elle recommandait déjà dans son avis 10-A-26 d’encadrer les prises de participation des groupes de
distribution alimentaire au capital des sociétés d’exploitation de leurs affiliés afin d’accroître la mobilité des
magasins indépendants entre ces différents groupes.
Pour la première fois depuis l’avis 10-A-26 rendu le 7 décembre 2010 par l’Autorité de la concurrence relatif
aux contrats d’affiliation de magasins indépendants, celle-ci doit se prononcer dans deux affaires sur la
licéité des dispositifs contractuels mis en place par Intermarché et Carrefour avec leurs franchisés.
Dans l’affaire visant Intermarché, un franchisé avait conclu un contrat de franchise Intermarché d’une
durée de 15 ans avec un approvisionnement quasi-exclusif auprès de son franchiseur. Afin de prévenir
tout départ du franchisé vers une enseigne concurrente, les statuts de la société franchisée, au sein de
laquelle Intermarché détient une action préférentielle, limitent son objet social à l’exercice d’une activité
sous enseigne Intermarché. En outre, Intermarché peut s’opposer à la modification des statuts de la société
du franchisé grâce à son action préférentielle.
A la suite d’un litige avec Intermarché, le franchisé a demandé, devant un tribunal arbitral, la résiliation du
contrat de franchise et la condamnation d’Intermarché à céder au franchisé l’action de préférence qu’elle
détient dans sa société afin de pouvoir modifier l’objet social de sa société et éventuellement exploiter une
enseigne concurrente. Le Tribunal ayant rejeté la démonstration du franchisé selon laquelle il était lié par
une exclusivité d’exploitation et une quasi exclusivité d’approvisionnement dont la durée de 15 ans le plaçait
dans un état de dépendance économique vis à vis d’Intermarché, constitutif également d’une entente illicite.
Saisie par le franchisé sur ces deux fondements, la Cour d’appel de Paris a sollicité l’avis de l’Autorité de la
concurrence (ADLC) sur ces questions.
Dans l’affaire visant Carrefour, la société franchisée, détenue à 26% par le Groupe Carrefour, a conclu avec
celui-ci un contrat de franchise et d’approvisionnement d’une durée de cinq ans, instaurant, en outre, un
droit de préférence en faveur de Carrefour en cas de cession de parts pendant une durée de cinq ans après
la cessation du contrat.
Comme dans l’affaire précédente, l’objet social de la société franchisée est limité à l’exploitation d’une
enseigne du groupe Carrefour à l’exclusion de toute autre, et toute modification de l’enseigne est soumise à
une décision des associés représentant les ¾ des parts sociales de la société franchisée.
Afin de s’opposer au non renouvellement du contrat de franchise par le franchisé, Carrefour prétend que
celui-ci est contraire à l’objet social de la société franchisée. Après une suspension de la dénonciation du
contrat de franchise obtenue par Carrefour en référé , Carrefour a assigné son franchisé au fond sur le
même motif.
Le franchisé, appuyé par une intervention volontaire du ministre de l’Economie et des finances, a demandé
au Tribunal de commerce de Lyon de consulter l’ADLC sur la conformité des statuts de la société du franchisé
avec l’article L.420-1 du Code de commerce, au motif qu’ils entrainent des effets restrictifs de concurrence en
limitant la mobilité des magasins d’une enseigne à une autre.
L’Autorité considérera-t-elle que la limitation de l’objet social d’une société franchisée à l’utilisation de
l’enseigne de son franchiseur, assortie d’une minorité de blocage dudit franchiseur empêchant toute
modification de cet objet social, est en elle-même contraire à l’ordre public économique ?
La question mérite d’être tranchée et ne connait pas de précédent juridictionnel. Tout au plus, la Cour de
Cassation a, dans une affaire opposant Intermarché à l’un de ses franchisés, sanctionné la Cour d’appel
d’Orléans pour ne pas avoir recherché si la clause des statuts du franchisé imposant la convocation d’une
assemblée générale extraordinaire pour dénoncer un contrat de franchise n’avait pas pour objet ou effet de
porter atteinte à la liberté contractuelle et de la concurrence, compte tenu de la minorité de blocage détenue
par Intermarché . La Cour d’appel de renvoi (Versailles) n’a cependant pas eu l’occasion de trancher le litige,
les parties ayant probablement préféré trouver une issue transactionnelle. Dans une affaire concernant
l’enseigne Leclerc, la Cour de cassation a jugé que la nullité des statuts ne peut être examinée sans étudier
de façon combinée les différentes dispositions statutaires ainsi que les dispositions du contrat de parrainage
liant les associés de la société franchisée . Là encore, la Cour d’appel de renvoi (Limoges) n’a pas eu l’occasion
de se prononcer.
Cet examen pragmatique des liens entre le franchisé et le franchiseur est directement tiré de l’Avis 10-A-26
du 7 décembre 2010 relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités d’acquisition
de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire, dans lequel l’ADLC a formulé des
recommandations au sujet des dispositifs capitalistiques et statutaires constitutifs de freins à la mobilité des
magasins indépendants entre les différents groupes de distribution alimentaire.
L’ADLC constate que les franchiseurs prennent fréquemment des participations dans le capital des sociétés
d’exploitation. Elle indique que « par le jeu des clauses d’enseigne et des règles de majorité présentes
dans les statuts et/ou pactes d’associés, les groupes de distribution disposent d’un véritable droit de veto
concernant le changement d’enseigne du magasin. » De tels montages limitent la mobilité des magasins d’un
réseau à l’autre, voire, dans certains cas, la société franchisée n’a pas d’autre choix que de renouveler son
contrat de franchise, ce qui aboutit à des exclusivités ou des préférences d’approvisionnement perpétuelles
en faveur des franchiseurs.
Elle indique que ces « freins à la concurrence » doivent être encadrés indiquant qu’à défaut de prise de
position de sa part, l’intervention du législateur serait nécessaire. En effet, s’étant saisie d’office pour avis, elle
ne pouvait, dans ce cadre consultatif, qualifier les pratiques constatées au regard du droit de la concurrence.
C’est aujourd’hui le cas.
L’intervention volontaire du Ministre de l’Economie et des finances à l’appui de la demande d’avis de l’ALDC
ne semble pas anodine : le gouvernement renvoie la balle de la franchise participative à l’Autorité de la
concurrence !